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adrien sculpteur
11 mai 2009

au départ nous étions aussi des proies

 La grande peur.

 Enfin ça y est dans cette commune de Chapelle-Voland que j'ai choisi d'habiter avec ma petite famille, on sent venir la fin de la misère. Je parle du bocage et de toutes les calamités qu'il entraîne.

 Depuis notre sédentarisation il y a 10 000 ans, nous luttons contre cette nature envahissante et hostile. Même si dans des périodes de fort peuplement la nature à bien reculé, elle a toujours fini par reprendre le dessus. Et avec le bocage sont revenu les vermines, les prédateurs, les paysages bouchés, la fange, la pourriture et l'humus.

Vaincre toute cette chienlit c'est aussi pour nous autre bressans de souche ou d'adoption, se débarrasser au plus vite de l'eau. L'eau stagnante, l'eau de pluie, l'eau de puis, l'eau douce. Assécher, drainer redresser les cours d'eau les fossés, et finalement peut-être un jour en finir avec l'eau de pluie comme en Australie.

 Cet hiver encore le paysage s'est éclairci. On sent déjà mieux le vent. Celui du nord, ou du sud, de l'ouest et même parfois celui de l'est. Et ce ne sont pas les quelques bouchons de ronce qui restent par ci par là qui vont encombrer bien longtemps.

 De la pointe de la Bretagne jusqu'aux frontières de l'est, c'est le même constat, la sauvagine cède du terrain. La plaine avec ces horizons, sa propreté esthétique, sa fraîcheur, me procure un sentiment de domination. Pouvoir pointer du doigt un village à vingt kilomètre et dire tiens voilà château -Châlon. Je sais aussi celui du travail accompli. Nettoyer le paysage de la dernière haie, c'est comme de donner le dernier coup de serpillière sur le seuil de la porte.

 Vous me direz:

« On a gardé des bois... » Des petits bois bien carrés, des bosquets ténus comme ces fonds qu'on a pas fini de combler ou ces talus qu'on a pas encore rasés.

On va faire un tour dans le bois puis on ressort. (bref retour à nos sources).

« Et il y a les forêts... » des forêts de rapport bien quadrillées de belles allées blanches ou on peut croiser des engins d'exploitation.

 Oui mais ce dont je parle c'est du BOCAGE , celui qui vous enferme, qui bouche l'horizon, qui cache les voisins. A chaque détour l'ennemi peux surgir, d'une vieille souche, de l'ombre des vieux trognards.On échappe pas au bocage. Il est partout. Mes peurs d'enfant ont enflées à cause de lui, peut-être mes rêves aussi.Les racines des arbres comme les miennes sont coupées mutilées enfouies ou brûlées. L'homme des caverne est loin.

Effacer le bocage c'est peut-être supprimer mes vieilles peurs et ce sentiment de honte de m'être un jour senti une proie dans cette nature.Une bonne partie des humains à fui cet environnement, à laisser l'autre décider, agir, survivre, se battre pour faire de nôtre entourage ce dont elle rêvait.

Grâce aux nouvelles machines ce n'est qu'une petite minorité d'hommes qui a dessiné peut être définitivement la nouvelle carte.

Nous avons gommé du paysage la cause de nos peurs. Je n'ai plus raison d'avoir peur mais par moment je me sens toujours une proie. J'ai peut-être seulement changé de prédateurs. Dans ma tête la peur prend-elle toujours la même place que dans celle de mes ancêtres? Que faudra-t-il supprimer pour qu'enfin je sois serein.

Moi qui suis né dans le bocage du Berry, même si le sentiment de domination parfois m'excite, je me sens en état de choc. Comme dans une cure de désintoxication, je ne me sens plus à l'aise dans l'ancienne vie mais pas encore bien dans la nouvelle. Il me faudra du temps, très très longtemps pour m'habituer à ces grandes plaines battues par tous les vents.

J'ai migré pour fuir cette catastrophe, mais à Chapelle-Voland elle m'a définitivement rattrapé. Je ne quitterai plus ce pays pour en retrouver un plus ombragé et risquer de revivre ça une troisième fois.

Je vais m'appliquer chaque jour à aimer ce changement, ce vent fou, la vue de tous ces villages. A aimer toujours les gens qui m'entourent, ceux qui comme nous étaient venus ici pour le charme bucolique et ceux qui y ont toujours vécus et qui on tout fait pour le démolir.

Pourtant, parfois, je me permettrai de pleurer en repensant à la vie sauvage et a ses dangers, pour retrouver dans un instant une saine raison d'avoir peur.

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